Les Amis du Bois des Buttes
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[ extrait : Mon tour viendra : l'enfer du poilu]

Septembre 1914

Enfin, immobilisés une demi-journée au nord de l'Aisne, dans un village charmant, (La Ville aux Bois) nous apprenons que l'ennemi résiste intensément sur les hauteurs et qu'il cherche même, par des attaques partielles, à conquérir des points stratégiques. Toute blanche nous apparaît dans le lointain la colonne Napoléon érigée en souvenir de la campagne de France, non loin de la ferme Hurtebise. A Craonnelle la lutte est ardente. On se bat dans les maisons, atrocement. Par un déplacement nocturne, nous allons à notre tour nous porter au contact de l'ennemi, dans cette plaine boisée qui va mourir aux pieds du plateau de Craonne.

Seulement, il y a des buttes qui seront sans doute l'enjeu de la bataille ce soir, demain ou les jours suivants. Sur Pontavert, les obus tombent et les balles s'évanouissent dans le bois. Nos 75 tirent sur Corbeny, la route 44 et Chevreux. Nous avons esquissé une attaque et des blessés nombreux constituent la rançon de notre tentative. Nous avons repris notre emplacement de garde. La pluie tombe, tombe, tristement bruissante, sur nos gamelles. Autour de soi des arbres, rien que des arbres ; la nuit, rien que la nuit.

Le chef de bataillon (Gloxin) a dit au lieutenant Boerner qui commande provisoirement la compagnie :

- A trois heures, demain matin, nous poussons la charge sur le village. Votre compagnie en tête. Il faut, à tout prix, « les » en déloger. Je compte sur vous !

Un coup de sifflet. Les sentinelles quittent leur poste. L'appel est fait à la lueur blafarde d'une lanterne d'escouade. Nous mettons baïonnette au canon et prenons immédiatement le pas de charge, bien décidés à remporter une nouvelle victoire. Ils sont là, dans le village [La Ville aux Bois], devant nous, les Allemands. C'est un village coquet, dit-on, avec son église au centre, de jolies maisons autour, un château, un parc, au sud le bois d'où nous débouchons, au nord des champs. La marche s'effectue silencieusement. Le képi est ajusté à l'aide de la jugulaire. On se met à l'aise. Cependant nous avons faim, toujours faim.

Le contact s'établit par une rencontre avec un poste ennemi dont le sort est immédiatement réglé, sans que l'attention de toutes les forces qui occupent le village soit attirée. Les premières maisons s'éclairent des premières lueurs du jour. C'est l'assaut au cri unanime de « En avant ! » ce qui a pour désastreux effet d'alerter l'ennemi. Notre lieutenant, sur qui un factionnaire allemand vient de tirer, sans l'atteindre, abat celui-ci d'un coup de revolver. Les rangs serrés pénètrent dans le village, par le côté nord. De nombreux coups de feu éclatent. Ce n'est plus du jeu. Les fenêtres, les lucarnes, les portes, grandes et petites, se peuplent soudain de défenseurs. Il y a des Allemands partout. Mon caporal est atteint au bras et quitte les lieux.

Alors commence l'attaque des maisons, chaque groupe ayant son objectif. Le lieutenant Boerner s'est, précipité sur une échelle, mais au moment de plonger un coup dans une lucarne, un coup de feu l'atteint à la tête.

Il s'agrippe en vain à la toiture, il chancelle et s'écrase au sol. Sa conduite merveilleuse d'entraîneur sans égal, au sang-froid déjà réputé, reste un exemple d'héroïsme. Cette attitude de combattant nous apprend comment on se bat, comment on se défend, comment on délivre un foyer.

Les portes sont enfoncées avec des outils. Travail meurtrier en face de défenseurs résolus. Dans le château, nous surprenons des prisonniers que nous expédions vers Pontavert, sous bonne escorte, pour ne point être génés dans notre action. Mais, sur la petite place, piquée de platanes, la lutte devient extrêmement sévère.Un cheval mort nous abrite, mon camarade Amespil et moi, et c'est là notre poste de tir. Des cadavres français jalonnent le chemin de l'attaque. A quelque vingt mètres, sur le parvis de l'église, un blessé tente désespérément de gravir la dernière marche et de se réfugier sous le porche. A l'instant même où ce malheureux croit pouvoir enfin respirer, une balle tirée d'une maison voisine l'achève et le voilà, qui, après s'être raidi un instant, roule au pied de l'église. Dans les immeubles les cris terrifiants des allemands écrasés sous les décombres... Arnal a qui j'ai passé quelques cartouches est mortellement blessé à la tempe. La canonnade termine le spectacle. De la fenêtre d'une grange, un allemand fait comprendre à nos soldats qu'il sautera, et il jette ses armes : les baïonnettes de toute l'escouade qui se tient debout, en dessous, tardent, selon lui, à s'écarter. Il s'élance alors dans une éclaircie et se casse une jambe. Les brancardiers l'emportent.

Ordre est donné d'organiser une résistance farouche dans le parc du château, car une contre-attaque est signalée. Nous abandonnons nos objectifs pour creuser avec fièvre des meurtrières dans le mur. Nous cueillons encore quelques prisonniers qui déposent docilement leurs armes. Dans une étroite dépendance du château on soigne les blessés. Mais bientôt la situation sera intenable. Tandis que certains de nos éléments s'attachent à réduire les îlots de résistance, toute notre attention se porte sur ces lignes d'uniformes gris qui s'avancent par bonds dans la plaine. Un tir à 800 mètres est exécuté tandis que le château, repéré, reçoit une volée de fusants. Quand je regarde, à la dérobée, ce qui se passe à notre droite, un spectacle inouï s'offre à mes yeux : à l'aide de poutrelles un groupe français s'efforce de pénétrer dans une maison qui retentit du crépitement de la fusillade. Quel drame poignant se déroule là ! Nos effectifs fondent et l'ennemi avance, mais lentement, car, là-bas aussi, il y en a qui demeurent pour toujours figés au sol, notre tir à travers les meurtrières étant extrêmement efficace. Ils vont monter à l'assaut de notre position, mais, sous nos feux continuels qu'alimentent les munitions des morts, un flottement se devine ; ils hésitent, se couchent à nouveau et attendent.

Partie remise, car ils n'abandonneront pas, croyons nous, sans lutte, une position dont les combats actuels soulignent l'importance. En effet, des renforts arrivent du lointain et nous ne sommes plus que huit aux créneaux cependant qu'une ligne de tirailleurs ennemis tire de biais sur nous. Aurait-on abandonné le village ? Que se passe-t-il ? Tenons quand même !

Les salves succèdent aux salves et par chacune d'elles des pertes sont causées aux assaillants. Une section vient à notre secours et, tandis qu'épuisés nous nous retirons un instant pour lui céder notre place au poste de défense, nous voyons avec joie accourir d'autres sections qui ré-attaquent avec succès des parties de ce pauvre village qu'elles occuperont bientôt presque en entier. Nous mettons le château en état de défense au rez de chaussée et au premier étage. Le grenier brûle. Un pan de mur s'effondre, sans causer d'accident,mais le bombardement fait rage et Sylvès, qui déplaçait un piano destiné à corser la barricade, reçoit une balle en pleine poitrine et tombe au milieu d'un chaos infernal. Et les flammes viennent maintenant lécher la partie inférieure de l'immeuble. A l'Est, d'irascibles Allemands mènent la vie dure à nos sections. Décidément notre victoire est fragile.

Au premier relâchement de notre tir nous sommes en effet menacés d'un assaut en règle. Mes amis disparaissent un à un dans la fournaise et la nuit qui tombe ne met pas fin au combat.

L'enclos du château s'est garni de renforts. Nous allons tenir le village. Aucun assaut allemand ne touchera son but. Cette terre de France est vraiment à nous.

Plutôt mourir que de reculer

Mourir : il y en a, ici même, des centaines qui ont fait ça et vers lesquels va ma pensée au moment où je m'éloigne de ces lieux maudits ! Ainsi, sur de nombreux kilomètres, au nord de l'Aisne, notre armée s'est arrêtée. On piétine et l'ennemi, comme nous, organise la défense. Choisi comme agent de liaison, je cours, par les sentiers, transmettre des ordres à mes chefs. Tâche périlleuse entre toutes. Pensez : un homme seul dans le bled ! Les passages sont terriblement boueux et les randonnées à travers le combat sont accompagnées de projectiles. Un gros noir a éclaté, près de moi, mais un très gros !

L'élan est brisé. Qu'allons-nous devenir ?

[...].. J'ai pu atteindre mes vingt ans tout à l'heure.

Mais je suis environné d'éclatements intenses. Je baigne dans la poudre.

Quel est donc mon destin ?

[Le livre est consultable à cette adresse Gallica ]

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